#De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache Études océan Indien, Numéros Études océan Indien, Documents -- Études océan Indien Études océan Indien AccueilNuméros40-41DossierDe l’exil à la nostalgie au trave... * Logo Inalco -- Dossier De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache François-Xavier Razafimahatratra -- Fuir les adversités Conséquence de l’exil La nostalgie dans la poésie malgache Fondement historique de la nostalgie malgache La terre ancestrale et le tombeau familial Le passé dans la nostalgie Nostalgie et organisation sociale La nostalgie des origines La nostalgie et la mort La nostalgie de l’au-delà Haut de page -- terre, à sa famille et à ses amis qu’avant même d’être parti, il s’inquiète déjà du retour. La période passée au loin est vécue sans plaisir et teintée de nostalgie. Il n’est donc pas étonnant de rencontrer dans la littérature malgache, non seulement dans la poésie, mais aussi dans les romans, le thème de l’exil. Toutefois, il convient -- région plus ou moins éloignée de la sienne. Ainsi, un Merina qui est obligé de s’installer hors de sa région, et quelle que soit la douceur du pays qui l’accueille, est sujet à la nostalgie de sa terre natale. 16Les romans nous font rencontrer ces Merina qui, pour des raisons -- Il s’attache surtout à en exprimer les effets, les sentiments qu’il ressent au moment précis où il est assailli par les souvenirs. Un « rien » suffit à éveiller en lui la nostalgie : la couleur du temps, un vol d’oiseaux, un voyageur de passage… Tout s’efface alors devant lui, il se remémore son village, sa famille et ses amis. Il se lamente -- veut être le porte-parole de sa Patrie. La nostalgie dans la poésie malgache 23L’étude thématique des œuvres poétiques d’un pays permet de mettre en -- aussi du peuple auxquels ils appartiennent. 24Nostalgie signifie en malgache embona et/ou hanina. Synonymes, ces termes sont utilisés séparément ou liés sous forme de métabole. Bien qu’il n’y ait pas de gradation, ils ont la même valeur notamment dans le domaine poétique. Toutefois, les poètes malgaches se servent plus souvent du mot hanina comme titre de leurs poèmes. À cette notion de nostalgie vient se confondre parfois celle du souvenir (fahatsiarovana, tsiaro ou tsiahy). Les poèmes intitulés « Tsiahy » ou « Tsiaro » sont relatifs aux embona et hanina, et inversement. En effet, dans la nostalgie, il y a au départ ou quelque part le souvenir et la réminiscence. Fondement historique de la nostalgie malgache * 13 Tananarive, Impr. de l’Imerina, 1928. -- coeur se fût déjà attaché à la beauté sauvage du nouveau rivage foulé par leurs pieds. Le professeur Prosper Rajaobelina (1913-1975), dans son article sur « La nostalgie dans la poésie malgache » (1948), écrivait : « Les Malgaches sont des déracinés ; leurs ancêtres ont quitté la Malaisie il y a des siècles et l’âme malgache en peine se -- aspirations et ses aspirations. »Dédoublés, tiraillés entre les souvenirs de ce qu’ils ont laissé et ce qui les appelle, nous imaginons que, malgré tout, c’est la nostalgie qui, pendant longtemps, va les habiter, un mélange doux amer de regret et de contentement. C’est ce paradoxe qui a donné naissance à ce que nous appelons actuellement la nostalgie, à travers les notions aussi abstraites que any ho any (aux confins, ailleurs, quelque part), any am-pitan-dranomasina any (par-delà la mer), any ambadika any (loin là-bas, de l’autre côté), -- * 15 Paris, Présence africaine, 1956, p. 74-75. 28La nostalgie pourrait donc être considérée, au départ, comme l’expression d’un attachement à un pays perdu — irrémédiablement perdu —, mais non effacé de la mémoire, idéalisé, devenu un pays des -- 29Bien que « le regret des lointaines genèses », du « boutre obsédé du retour aux pays d’origine » soit atténué, la nostalgie d’un ailleurs s’est accrochée à l’âme malgache, mais orientée vers d’autres lieux devenus plus ou moins mythiques : Ankaratra16, Andringitra17, -- 32Ce désir d’Andringitra et d’Ankaratra de se rencontrer contient l’essentiel de la nostalgie malgache. Sans doute parce que ces deux massifs limitent la vue et éveillent le désir de voir ce qu’il y a au-delà. Mais il est évident que ce n’est pas la seule cause. Dans la mesure où la nostalgie est un sentiment universel, comment peut-elle être affublée de l’adjectif malgache ? Ou, tout au moins, quelle est sa spécificité à travers l’âme malgache ? C’est la question à laquelle il faut répondre. La difficulté réside dans le fait que la nostalgie se définit, d’une manière générale, à travers ses manifestations, ses expressions. Dans son anthologie Takelaka notsongaina (Pages choisies), -- embona et du hanina en tant que thèmes récurrents de la poésie malgache. Toutefois, il n’en donne pas une définition précise. Est-ce à dire que la nostalgie est indéfinissable ? 33Dans son livre Mythologie de la saudade (1997), Eduardo Lourenço -- aussi s’appliquer au rapport qu’ont les Malgaches avec le embona et le hanina. Le professeur Pierre Vérin (1990) a fait, à juste titre, un rapprochement des deux formes de nostalgie, mais il aurait été tout aussi possible de rapprocher la nostalgie malgache du blues noir américain ou de la sehnsucht (nostalgie en allemand) que Jacques Taurand (1997 : 25), dans son livre sur Michel Manoll, traduit par « désir de revoir ». Les analogies sont dans la forme, dans l’expression de ce frémissement de l’âme. Elles sont distinctes quand on en recherche les origines, lorsque l’on tente de capter les teneurs respectives des nostalgies, ainsi que leur enracinement dans le vécu historique des peuples concernés. 34Sur le plan historique, la nostalgie malgache se nourrit des événements qui ont brutalement marqué l’histoire de la Grande Ile : les expéditions merina à travers l’île, le choc de l’annexion française en -- éloignement de la terre natale et de la tombe des ancêtres. 35La nostalgie peut donc être perçue comme une réaction à ces événements, comme une manière de supporter la fatalité, l’inexorable, l’irréversible. L’un des plus anciens chants sur la nostalgie est sans doute celui dédié à Ratsida. Ratsida était un soldat qui avait participé à l’annexion de l’Ikongo sous le règne du roi Radama I -- 36La plupart des poètes ont chanté, à un moment ou à un autre, l’emprise de la nostalgie. Les situations historiques permettent parfois d’expliquer certains poèmes qui n’avouent pas ouvertement l’objet précis de la nostalgie. Le poète Ny Avana Ramanantoanina peut être considéré comme le chef de file de ceux qui ont manifesté avec beaucoup de passion et de conviction l’attachement au pays des ancêtres. Il a su donner à la nostalgie une valeur de contestation, en y intégrant des messages d’espoir, et en faire un chant d’action. La langue malgache se prête d’ailleurs admirablement à l’expression des sens cachés : double sens, faux sens, contre sens ou mots codés. D’autres poètes excellent dans l’exploration des sources où s’abreuve la nostalgie et pour exprimer le frémissement de l’âme du nostalgique. 37Comme dans ce poème de Ny Avana intitulé : « Midona moramora » (Il -- 1988, p. 87-88. Ou encore, plus récent, ce poème d’Andrianarahinjaka, « Nostalgie »20 : Nostalgie ! Nostalgie ma demeure et mon voyage. Nostalgie, mon voyage, mon beau voyage triste, ma randonnée sans fin -- toujours à portée de rêve. Nostalgie, mon beau navire, ma nef toute flamme, mon long courrier tout feu croisant sur la route du Destin. Nostalgie, mon repaysement, mon voyage merveilleux jamais achevé. Nostalgie mon mal à l’âme. 38Sur le plan psychosociologique, l’enracinement de la nostalgie dans l’âme malgache peut être étudié à partir de la conception malgache de l’attachement à la terre des ancêtres, à la famille et au groupe, ainsi -- souffre autant que l’homme de la séparation et des mauvais traitements qui lui sont infligés. La terre est vivante et c’est en tant que telle qu’elle peut susciter la nostalgie. Une réciprocité de sentiments s’impose dans la nostalgie. Il y a dans cette référence à la terre une corrélation avec ce que Lacan appelle « matrice symbolique ». La terre mère, la seule et l’unique, bien qu’on ait suggéré aux Malgaches comme -- s’exaltait à travers l’idéalisation de l’ancienne monarchie ou, pour être plus juste, du temps des ancêtres. C’est le sentiment de se sentir étranger dans son propre pays qui nourrit la nostalgie du poète malgache. Rien ne prouve que le passé est meilleur par rapport au présent, mais ce qui a été enlevé par la force prend une valeur -- haut, l’exprime clairement. Bien que maîtrisant le français, comme tous ceux de son époque, Rado n’écrit que des poèmes dans sa langue natale. Ainsi, comme le pense Ny Avana, la nostalgie n’est pas une vaine contemplation d’un ailleurs, d’un passé révolu, elle est l’expression d’une contestation de la situation présente. Le passé dans la nostalgie 42Que représente effectivement ce passé ? Nous devons distinguer le sentiment individuel du sentiment collectif. Dans le premier cas, l’homme ressent la nostalgie de son enfance, du bonheur vécu auprès des siens (grands-parents, parents et amis, etc.), de la vie sans tracas. Les moments parfaits comme le chante Rabearivelo : -- 44Ce dernier vers nous rappelle que ce ne sont pas uniquement les jours heureux qui sont source de nostalgie, mais même les malheurs, les souffrances, rendent douce la nostalgie. La nostalgie de la maisonnée qui réunissait tous les membres de la famille et qui n’est plus que ruine ou abandonnée : -- semblant de réconfort, y puiser l’énergie nécessaire pour faire face aux problèmes du quotidien. Rien ne ramène plus à ces moments bénis. La nostalgie est le fruit de cette désespérance. 46Sur un plan plus général, après 60 ans de colonisation, l’homme -- du mal à s’adapter, ayant été obligé de porter des vêtements qui ne lui seyaient pas et dont il a pourtant du mal à se défaire. Sur ce point, la nostalgie malgache est plus temporelle que spatiale. 47Les 60 ans de colonisation semblent être un intermède qui n’a pas -- récupéré par les hommes politiques d’une manière ou d’une autre. Nostalgie et organisation sociale * 23 Extrait de la préface du recueil de poèmes Presque songes, par -- groupe. Tout ce qu’il entreprend confirme sa place au sein de la société, mais peut aussi l’en exclure ou nuire à la communauté. La nostalgie comme la mélancolie coupe l’individu de cette réalité. Plusieurs expressions synonymes sont utilisées par les Malgache pour désigner le nostalgique : lasam-borona, lasa ambiroa, lasa eritreritra, -- village où se trouve le tombeau familial et, pour certains, de la nation, de l’île dans sa totalité. L’étendue du domaine dans lequel agit la nostalgie est équivalente à la capacité de l’homme à tendre vers l’universel. Pourtant, certains, même avec les contacts qu’ils ont réussi à établir avec le monde extérieur, restent prisonniers de la -- tout pour le Malgache, c’est ce lien qui l’attache, dans le fihavanana (parenté), non seulement aux vivants, mais aussi et surtout aux ancêtres. Sous cet angle, la nostalgie est une expression plus ou moins négative du fihavanana : l’impression d’être tenu à l’écart pour une raison ou une autre. La nostalgie des origines 51Dans son livre Le sacré et le profane, Mircea Eliade écrit : La nostalgie des origines est donc une nostalgie religieuse. L’homme désire retrouver la présence active des dieux, il désire également vivre dans le Monde frais, pur et “fort”, tel qu’il sortit des mains du Créateur… … C’est la nostalgie de la perfection des commencements. 52Chez le Malgache, ce qui nous semble le plus important dans cette nostalgie des origines, ce n’est pas tellement de retrouver le Créateur, mais de rejoindre les ancêtres, de devenir un « saint » ou plutôt un « sage » parmi ceux qui l’ont précédé dans l’au-delà. Pour le -- d’un lexique très étendu pour désigner ces éléments immatériels qui s’attachent à l’être humain. C’est vers cette âme que tend la nostalgie. Le mot « âme » se rencontre souvent dans la poésie malgache ; elle établit ou rétablit le lien avec les ancêtres. Dans son poème dédié à son amie et poétesse Esther Razanadrasoa, Rabearivelo -- Au bord du fleuve que nous n’avons pas encore passé !… 54La nostalgie des origines est plus flagrante chez Rabearivelo bien qu’on la rencontre aussi chez beaucoup de poètes malgaches. Il s’agit d’affirmer la filiation, de perpétuer le souvenir des ancêtres. -- elles plongent dans les mythes. La nostalgie et la mort * 24 « Misy… », Folihala, Antananarivo, Tranom-printim-pirenena, 1968, p. 187. 56Il ne s’agit pas dans la nostalgie d’évoquer la mort comme la destruction du corps, la limite de l’être, mais comme destruction de l’ordre social établi par le manque ou la fêlure qu’elle crée au sein -- de l’esprit qui l’inspire. La nostalgie de l’au-delà 60La notion de paradis est arrivée avec le christianisme. Il ne s’agit -- des livres religieux. Ce dernier semble avoir supplanté le premier, sauf dans des cas rares comme chez Rabearivelo qui écoute l’appel du Néant, de l’Inconnu. La nostalgie émaille même les cantiques religieux et plus précisément ceux qui sont écrits pendant la persécution des chrétiens, entre 1836 et 1861, sous la reine Ranavalona I. La plupart -- nuages. 61Ny Avana donne une dimension cosmique à la nostalgie par un dépassement de soi, pour l’intégrer dans le tout et par la divinisation ou, pour être dans la conceptualisation malgache, dans l’ancestralisation de l’être. 62Vue sous cet angle, la nostalgie est dans l’essence même de l’homme malgache. Elle ne peut donc se définir qu’à partir de l’expérience de l’homme. À partir du moment où il s’est rendu compte que la vie après -- future soit le plus confortable 63possible et pouvant réunir la famille dans l’au-delà. La nostalgie procède donc de la peur de ne pas trouver sa place auprès des siens après la mort, dans l’au-delà et du questionnement sur place de l’homme -- même poète définit dans le poème « Sambo ho aiza », cité plus haut. 65Pour terminer, parlons des symboles de la nostalgie chez les Malgaches. L’importance donnée à la nostalgie se manifeste dans la multiplicité des symboles y afférant. Le plus courant, le valiha, une sorte de cithare tubulaire, fabriqué à partir d’un morceau de bambou, -- 67Mais d’autres arbres, propres à la terre malgache sont parfois pris en considération et utilisés par les poètes pour symboliser leur nostalgie. Par exemple, l’arbre voara (figuier), chanté par F.-M. Razanakoto dont la « vue inspire, aux rares passants / de ce lieu plein de mélancolie, / le regret d’une époque abolie. »De même que le -- arbres cités, nous pouvons ajouter certaines plantes qui, par leur discrétion dans la nature, leur fragilité, sont attachées à la nostalgie. 68De par leur capacité à se déplacer, des animaux entrent dans le bestiaire de la nostalgie, comme les ombimanga (zébus sauvages) : « Zébu perdu loin de la forêt je suis / J’ai la nostalgie des êtres aimés et je soupire. » -- l’akanga (pintade) et le tsiriry. Ce dernier désigne à la fois une herbe et un petit oiseau (sarcelle), mais, dans les deux cas, il symbolise la nostalgie, comme dans ces vers de Eliza Freda, extraits du poème « Vetsovetso takariva » (Méditations du soir) : -- Je rêve d’être à l’abri sous les ailes de ma mère. 70Par ailleurs, nous retrouvons l’expression de la nostalgie à travers la toponymie. La plupart des lieux ayant des noms y faisant référence sont hauts situés, c’est-à-dire à un endroit qui permet de voir une -- 71Enfin, certaines saisons ou heures de la journée éveillent, comme partout ailleurs, chez les poètes malgaches, la nostalgie. -- présent comme le peuple malgache, peut encore trouver le temps de penser au passé ou à l’avenir quand sa principale préoccupation est de survivre ? La misère, au lieu de couper l’homme de la nostalgie, l’incite au contraire à penser à des moments plus heureux, à s’évader dans le temps ou dans l’espace à travers le rêve. La misère est donc un moteur à la nostalgie. Une personne qui n’a pas de problème ne rêve que de l’avenir. Si la jeune génération de poètes malgaches n’aborde pas de la même manière que ses aînés le thème de la nostalgie, cela ne signifie pas qu’elle s’en désintéresse. La nostalgie est parfois dans les thèmes de la misère et de l’insatisfaction. Il y a donc un déplacement du cadre et une non-absence. -- 73Par ailleurs, il est courant d’entendre dire que le Malgache est un nostalgique. Cette constatation subjective ne permet pas d’inclure la nostalgie dans la particularité de l’homme malgache. La malgachitude est plutôt dans la nature de la nostalgie. Haut de page -- Imerina, Paris, L’Harmattan. Rajaobelina, P., 1948, « La nostalgie dans la poésie malgache », Mémoires de l’Académie malgache, Tananarive, Impr. Moderne de l’Emyrne, p. 67-75. -- Référence papier François-Xavier Razafimahatratra, « De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache », Études océan Indien, 40-41 | 2008, 161-186. -- Référence électronique François-Xavier Razafimahatratra, « De l’exil à la nostalgie au travers de la littérature malgache », Études océan Indien [En ligne], 40-41 | 2008, mis en ligne le 20 mars 2013, consulté le 17 décembre